Après sa présentation au festival d'Avignon, le metteur en scène Christophe Rauck revient au Théâtre des Amandiers, nous offrant cette interprétation magistrale de La Tragédie du roi Richard II, pièce si peu mise en scène du fait de sa complexité.

"Roi esclave du malheur, au malheur royalement j'obéirai" (Acte III, scène III). Voilà ce que scande Micha Lescot, interprétant ce roi déchu condamné à abdiquer et à errer sur cette terre profane qu'il embrassait quelques instants auparavant. Roi rejeté par son traître de cousin, Richard II reste jusqu'à ce jour une pièce considérée comme délicate à mettre en scène ; le manque de scène d'exposition ou encore cet aspect si synthétisé du texte en décourageraient plus d'un. Cette réussite est due à la collaboration entre le metteur en scène Christophe Rauck et l'acteur Micha Lescot, ce dernier étant lui-même à l'origine du projet.
Roi bouffon, roi déchu : la frontière est mince
L'interprète du roi Richard offre l'illustration d'un roi insolent, performance contrastant complètement avec celle des autres comédiens. Devant un roi mis face à sa propre perte, nous retrouvons des acteurs comme Eric Challier - interprétant le traître de Bolingbroke - homme qui, à l'inverse, se retrouve en position de force. Entouré de lâches, de son épouse aimante et de ses détracteurs, le roi le plus maudit de Shakespeare semble être la personnification même de l'arrogance, du cynisme mais surtout du malheur.
Bouffon de par son attitude hautaine, mais roi maudit également de par l'écriture de son personnage. Il semble y avoir de la part de l'équipe artistique, une volonté de rendre le roi Richard bien plus pathétique qu'il ne l'est déjà ; exprimant dans le texte cette vanité exacerbée par la gestuelle de Lescot. Finalement, Richard passe d'une couronne qui lui revient de droit - avec des oripeaux qui s'y affairent - à un dépouillement littéral sur scène. Les amateurs de Shakespeare verront dans le déshabillage du roi - scène I de l'acte IV - une mise en lumière de cette perdition morale et politique. Le média bien connu des amateurs d'art, Arte, qualifie le jeu de Lescot teinté de "grâce adolescente". Nous ne pouvons qu'adhérer et confirmer cette idée ; doigt d'honneur, danse célébrant la mort d'un proche, relation sensuelle avec le sol, le comédien nous ravit avec cette vision moderne et non-conventionnelle de ce roi des neiges.
La capacité de Lescot de jouer parfois six humeurs différentes en une seule scène donne sens au terme "époustouflant". Autour de ce roi perdu défilent des comédiens tous exceptionnels, qui nous entrainent dans le rythme effréné de la pièce.
Une mise en scène presque cinématographique
Les sensations du cinéma sont là ! L'enchainement des effets de lumière et des mouvements nous plongent dans cet univers presque magique. A l'instar du texte original, la scène d'ouverture ne constitue pas une scène dite d'exposition - pas de présentation "classique" des personnages et du contexte - et le jeu de lumière se prête à cet effet de brutalité.
Olivier Oudiou - responsable lumière - fait le choix d'un projecteur vertical directement dirigé sur l'acteur lorsque arrive sa réplique. Cette technique donne une justesse impressionnante aux scènes, tout comme l'est cette volonté de ne pas dévoiler le visage de Richard jusqu'à la fin de la scène de duel. Richard II reste alors dans l'ombre en tant que roi d'Angleterre, mais restera lumière dans son souverain malheur.
Certains critiques avaient qualifié la pièce de "très masculine" ; partant de l'idée que les pièces de Shakespeare correspondent à un idéal patriarcal lié à une époque, il est naturel de monter une pièce fidèle au créateur et à sa vision. Christophe Rauck, lors d'une intervention à l'Université Paris Cité, ré-affirme son choix, du fait de la masculinité originale de la pièce ; "des bonhommes virils du Moyen-Âge, c'est ce que je voulais car ça correspond complètement aux codes de la chevalerie que Shakespeare met en avant".
Rompre avec les préjugés : impossible de s'endormir devant du Shakespeare
Evidemment, un des objectifs de Christophe Rauck est de dépoussiérer cette pièce si peu connue et de la dynamiser. Sans imiter ses prédécesseurs, il cherche, toujours avec l'impulsion de Micha Lescot, à explorer la sensibilité de ce roi incompris (source : Arte) d'une manière presque extra-textuelle. Expérimenter la sensibilité et l'arrogance d'un roi ou encore éviter à tout prix le "cliché de la tragédie Shakespearienne" transcende indéniablement la pièce.
En somme, cette adaptation de Richard II réconcilierait n'importe qui avec Shakespeare ! Le seul regret que nous pourrions émettre : ne pas pouvoir y retourner !
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